Approche
instrumentale et didactiques : apports de Pierre Rabardel
lundi 7 janvier 2013 par Claver Nijimbere
Mots-clés
- Théorie
- TIC
Définition :
La catachrèse est une figure de style qui consiste à détourner un mot, ou une expression, de son sens propre en étendant sa signification : le pied d'une table, être à cheval sur une chaise.
Cette contribution vise à présenter l’approche
instrumentale développée par P. Rabardel (1995) et certaines de ses
applications aux recherches portant sur les usages des TICE. Nous discuterons
aussi les apports de cette approche, parmi lesquels l’explicitation de la
dialectique sujet-artefact et la mise en valeur de l’activité du sujet
s’opposant à des usages « guidés par les outils ».
1. Introduction
Dans les années 1990, la dénomination d’outil à
propos de l’informatique a tendu à se banaliser dans les discours officiels, et
cela a été surtout visible dans les situations ayant trait à l’intégration de
l’informatique dans le système scolaire. Pour Eric Bruillard (1997), cette
appellation est très restrictive vis-à-vis de ce qu’est l’informatique. Dans
son article « L’ordinateur à l’école : de l’outil à
l’instrument »(1997), il décrit comment la conception de
l’informatique comme outil se développe avec la disparition de l’option
informatique au lycée dans les années 1980. Cette conception présente
l’informatique comme moyen plutôt que comme un contenu à apprendre et marque
une rupture avec l’informatique lourde et la micro-informatique des années 1970
(Bruillard, 1997).
Selon Bruillard, l’informatique produit des outils et
des instruments, c’est-à-dire des effecteurs (outils) et des « capteurs »
(instruments) et, sur le plan éducatif, « réduire l’informatique à un
outil c’est la cantonner dans des activités de production limitées sans
remettre en cause, non seulement les processus de production ou des
connaissances qui y sont rattachées, mais aussi la finalité même de ces
productions ». Pour lui, l’informatique peut être vue comme une
méta-technologie, à la fois comme un méta-outil ou comme un méta-instrument, et
comme une technologie permettant de fabriquer et de simuler des outils et des
instruments : ce qui est couramment appelé « outil
informatique » n’est autre chose qu’un ensemble d’instruments.
Cette notion d’instrument, qui diffère selon les
contextes, a été théorisée sous une autre forme dans l’approche instrumentale
de Pierre Rabardel.
2. Les travaux de Pierre Rabardel
Les fondements de l’approche instrumentale de Pierre
Rabardel (1995) sont constructivistes et socio-constructivistes. Cette approche
contribue à la théorisation d’une approche anthropocentrique des techniques (Rabardel,
1994). Pour Contamines et al. (2003), Piaget comme Vygotski, malgré leurs
controverses, s’accordent sur le fait que les mécanismes de la pensée et de son
développement se trouvent à la croisée des boucles extérieur/intérieur et
milieu/sujet. Ils dépassent ainsi le dualisme matière/esprit pour aborder le
développement cognitif du sujet inscrit dans son environnement, vu comme
matériel chez Piaget et vu à la fois comme matériel et social chez Vygotski et
Rabardel.
Selon Contamines et al. (2003), l’approche
instrumentale de Rabardel (1995) repose sur trois concepts fondamentaux :
la distinction artefact/instrument, la genèse instrumentale et le champ
instrumental d’un artefact. La distinction entre artefact et instrument réside
dans les conceptions associées. Si l’artefact est premièrement conçu et réalisé
par une personne ou une une équipe de personnes pour répondre à un (des)
objectif(s) précis, l’instrument est construit par le sujet à partir de cet
artefact au cours de son usage lors d’une activité : des fonctions
initialement conçues et prévues par le concepteur de l’outil — les fonctions
constituantes — sont modifiées et d’autres fonctions nouvelles — les
fonctions constituées — sont créées, au cours de son usage.
Le concept de
genèse instrumentale consiste ainsi en l’élaboration de l’instrument à partir
de l’artefact par l’utilisateur au cours de l’activité. Enfin, le concept de
champ instrumental d’un artefact est constitué par l’ensemble des valeurs
fonctionnelles et subjectives que l’artefact peut prendre au sein de l’activité
d’un individu.
2.1. Distinction objet technique/artefact/instrument
Pour définir la notion d’instrument, Rabardel (1995)
part de la notion d’objet technique, d’orientation technocentrique. Il propose
la notion d’artefact comme terme alternatif, neutre, permettant de penser
différents types de relations du sujet à l’objet ou au système
anthropotechnique. Selon lui, un artefact est donc tout objet technique ou
symbolique ayant subi une transformation d’origine humaine, si petite
soit-elle. Il donne l’exemple du dispositif de pilotage du bras manipulateur
d’un petit robot qui déplace des objets dans l’espace. De ce point de vue,
l’appellation d’artefact est directement mise en relation avec toute action ou
activité humaine.
Quant à l’instrument, deux niveaux de définition sont
donnés. Au premier, un instrument est défini comme un artefact inscrit en
situation dans un usage comme moyen d’action d’un utilisateur. Au deuxième
niveau, l’instrument est une « entité mixte », qui tient à la fois du
sujet et de l’artefact. Pour ce faire, Rabardel montre que l’instrument
comprend, d’une part, un artefact matériel ou symbolique produit par
l’utilisateur ou par d’autres, et d’autre part, un ou des schèmes
d’utilisations associés qui résultent d’une construction propre du sujet ou de
l’appropriation de schèmes sociaux préexistants.
Il montre aussi que si ces
deux dimensions de l’instrument, artefact et schème d’utilisation, sont
associées l’une à l’autre, elles sont, d’autre part, dans une relation
d’indépendance relative : un même schème peut s’appliquer à une
multiplicité d’artefacts appartenant à la même classe ou mêmes des classes
différentes et inversement, un artefact peut s’inscrire dans une multiplicité
de schèmes d’utilisation qui vont lui attribuer des significations et des
fonctions différentes.
Pour les sujets, un artefact s’enrichit à partir des
situations où il a été inséré de façon circonstancielle et singulière, comme
moyen de leur action. Rabardel (1995) parle de « palette de champ
instrumental de l’artefact pour le sujet », comprenant l’ensemble des
schèmes d’utilisation de l’artefact ainsi que l’ensemble des objets sur
lesquels il permet d’agir.
2.2. Schèmes (sociaux) d’utilisation
Béguin et Rabardel (2001) appellent « schème d’utilisation »
une organisation active de l’expérience vécue, qui intègre le passé et qui
constitue une référence pour interpréter des données nouvelles. Il semble pour
eux, que c’est une « structure » qui a une histoire, qui se
transforme au fur et à mesure qu’elle s’adapte à des situations et des données
variées, et qui est fonction de la signification attribuée à la situation par
l’individu. Pour Rabardel (1995), si un schème s’actualise sous la forme d’une
procédure adaptée aux particularités de la situation, un même schème peut
s’appliquer à une multiplicité d’artefacts appartenant à la même classe :
les schèmes de conduite automobiles peuvent être transposés d’un véhicule à
l’autre par le sujet.
Piaget puis Vergnaud ont parlé de la notion de schème
avant Rabardel. Selon Piaget (1930), les schèmes constituent les moyens du
sujet à l’aide desquels il peut assimiler les situations et les objets auxquels
il est confronté. Pour Vergnaud (1991), les schèmes sont des organisateurs de
l’activité du sujet : pour une classe de situations données,
l’organisation de la conduite est invariante mais pas la conduite elle-même.
Rabardel distingue plusieurs types de schèmes : les schèmes d’usage
renvoient à l’interaction du sujet avec l’artefact ; les schèmes d’action
instrumentés sont dirigés vers l’objet de l’activité et convoquent les schèmes
d’usages pour atteindre les buts poursuivis ; enfin, les schèmes d’action
collective instrumentée, en référence à l’utilisation d’artefacts par plusieurs
sujets, simultanément ou conjointement. Deux dimensions des schèmes
d’utilisation sont évoquées. La première est la dimension privée, propre à
chaque individu.
Pour Folcher et Rabardel (2004), la singularité de
cette dimension privée des schèmes tient en l’élaboration et l’histoire des
schèmes pour chaque personne. Par exemple, des schèmes d’écriture manuelle
rendent l’écriture spécifique à chacun d’entre nous. La deuxième dimension est
sociale. Elle tient au fait que les schèmes, largement répandus dans un groupe
social, s’élaborent au cours d’un processus où les individus ne sont pas
isolés : les concepteurs des artefacts tout comme les autres utilisateurs
contribuent à cette émergence des schèmes. Ces schèmes sont dits « schèmes
sociaux d’utilisation » en regard de leurs modes d’acquisition dans le
contexte social.
2.3. Processus de genèse instrumentale
Le passage de l’artefact à l’instrument renvoie à un
processus de genèse instrumentale. Au cours de ce processus, un même
artefact peut, pour différents utilisateurs, se voir attribuer diverses
fonctions, caractéristiques de l’élaboration d’instruments (Rabardel, 1995). Le
concept de genèse instrumentale permet de saisir à la fois l’évolution des
artefacts liée à l’activité de l’utilisateur et l’émergence des schèmes
d’utilisations comme participant d’un même processus et d’élaboration
instrumentale (Béguin et Rabardel, 2001). Rabardel montre que ces genèses
instrumentales apparaissent aux deux pôles de l’entité instrumentale – artefact
et schèmes d’utilisation – et présentent deux dimensions :
l’instrumentation — orientée vers le sujet — et l’instrumentalisation –
orientée vers l’artefact.
Le processus de genèse instrumentale a une durée
variable. Il peut, selon la nature de l’activité ou de l’artefact, durer de
quelques minutes à plusieurs années. L’instrument constitué peut aussi être
éphémère (Contamines et al., 2003). Il est lié aux circonstances singulières de
la situation et aux conditions auxquelles le sujet est confronté. Il peut faire
l’objet d’une conservation durable et s’intégrer aux moyens disponibles pour
des actions futures.
Le processus d’instrumentation est un processus
d’apprentissage : les schèmes d’usage évoluent, se transforment, d’autres
se créent, se développent et s’incorporent aux schèmes préexistant. L’utilisateur
apprend et évolue (Contamines et al., 2003) et c’est au cours de ce processus
d’instrumentation qu’il y a un processus de conceptualisation (Haspékian,
2005 ; Rabardel et Pastré, 2005).
Rabardel (1994) évoque un détournement fréquent des
technologies — phénomène de catachrèse – pour montrer l’écart grandissant entre
le prévu lors de la conception et le réel dans l’utilisation des technologies
contemporaines. Pour Rabardel, ces catachrèses sont des indices éloquents qui
témoignent de la contribution de l’utilisateur à la conception des usages des
artefacts, à l’attribution de nouvelles fonctions et « de l’institution
par le sujet des moyens adaptés en vue des fins poursuivis et de l’élaboration
d’instruments destinés à être insérés dans son activité en fonction de ses
objectifs ». Se référant à un article des nouvelles de la sécurité
aérienne du Canada (1989), il montre que « les pilotes cherchent à
contourner le programme du calculateur qui ne leur donne pas satisfaction.
Les
équipages qui veulent commencer à descendre avant le point fixé par
l’ordinateur indiquent tout simplement à celui-ci qu’ils vont mettre le
dégivrage en marche, ce qu’ils ne feront pas, ou ils programment un vent
arrière purement fictif. Le calculateur établit alors un nouveau pont de début
de descente qui satisfait le pilote ». Toujours dans la conception des
avions, il montre une vison pessimiste de l’intervention humaine qui conduit à
une limitation stricte de son activité dans le pilotage, les tâches confiées au
pilote sont réduites au grand maximum : la multiplication de systèmes qui
visent à empêcher les accélérations, les inclinaisons, virages excessifs…
Rabardel (1995) plaide pour des environnements
permettant des échanges et du partage. Pour cela, leur structure doit être
évolutive et partant, pouvant être adaptée à la dynamique d’évolution des
affaires et des tâches à faire. A cet effet, il déplore la philosophie de
conception des environnements informatisés qui repose sur le principe des
structures rigides des fichiers qui n’admettent pas des ajustements
fonctionnels aux particularités et aux schèmes d’utilisations divers, donc une
conception qui ne permet pas d’affronter les divers problèmes rencontrés dans
l’usage. Il donne un exemple de CAO – Conception Assistée par Ordinateur- où
l’information concernant le dessin de l’objet en cours de conception est
stockée dans le fichier, lequel fichier est vu sous un seul angle par ses
producteurs.
3. L’approche instrumentale :
une approche théorique souvent convoquée
3.1. Recherches en éducation
L’approche théorique instrumentale est beaucoup
utilisée dans la littérature de recherche. Trouche (2005) justifie l’importance
de cette approche en éducation et surtout en didactique des mathématiques, par
le fait que les outils sur lesquels elle se fonde sont les composants du milieu
de l’apprentissage.
Sokhna et Trouche (2007) utilisent cette approche pour
étudier et analyser les dispositifs de formation continue des professeurs de
mathématiques. Ils témoignent de la pertinence de cette approche instrumentale
pour la conceptualisation de la notion de ressources pédagogiques. Ils
décrivent aussi, se référant aux travaux de Rabardel (2000), la médiation
instrumentale [1] comme un concept central pour penser et analyser les
modalités par lesquelles les instruments influencent la construction du savoir.
Pour Geynet et al. (2006), cette approche théorique
offre un ensemble d’outils d’analyse [2] afin d’étudier l’activité d’un
sujet psychologique agissant dans des conditions quotidiennes de travail instrumenté.
Pastré (2005) prolonge, quant à lui, la notion de genèse instrumentale et
construit les notions de genèses conceptuelle et identitaire. Il reconnaît
néanmoins l’impossibilité de séparer les deux types de genèse – conceptuelle et
instrumentale — étant donné que la genèse d’un instrument passe par le
développement des schèmes dont le cœur est formé par les invariants
opératoires.
3.2. Quelques applications aux TICE
Suggérée par Baron et Bruillard dès 1996 pour analyser
les usages de l’informatique en éducation, cette approche connaît une
utilisation importante : elle a été notamment mise en œuvre dans beaucoup
de recherches. Viviane Folcher (1999), dans sa thèse de doctorat, fait appel à
cette approche pour étudier les formes d’instruments construits en fonction des
formes d’activités collectives assistées par ordinateur. Elle montre que dans
la constitution de l’instrument, c’est la totalité organisée de l’activité qui
imprime à l’instrument les propriétés structurelles et fonctionnelles.
En didactiques des mathématiques, Rossana Falcade
(2002) convoque cette approche dans sa thèse de doctorat pour analyser le rôle
du logiciel Cabri Géomètre dans la médiation sémiotique d’un graphe d’une
fonction. Dans cet environnement, elle part de la trace et le macro d’une
figure sur l’écran, comme des artefacts, et construit des instruments
relativement aux schèmes d’usages : le déplacement d’un objet quelconque
sur l’écran peut être considéré comme l’instrument qui marque et détermine le
caractère dynamique de Cabri ; l’ensemble de pixels opportunément activé
sur l’écran constitue l’artefact comme composante matérielle et symbolique de
Cabri. A l’artefact — trace —, Falcade associe trois schèmes
d’usage pour construire trois instruments.
Le premier instrument, construit à
partir de la trace avec le schème 1 — déplacer un point qui laisse sa trace —,
permet d’extérioriser la notion de variation en termes d’une suite de
changements d’état au cours du temps, et graphiquement, elle extériorise la
liberté totale de la variable indépendante. Le deuxième instrument est
construit à partir de la trace associé au schème 2 — déplacer un point et
obtenir la trace d’un autre point qui en dépend —. Cet instrument permet de
visualiser l’existence d’une dépendance spatio-temporelle directe entre
l’action du sujet et le déplacement de la variable dépendante. Enfin le
troisième instrument est construit à base de la trace avec le schème 3 — déplacer
un point qui laisse sa trace et obtenir la trace d’une couleur différente d’un
autre point qui en dépend —. Cet instrument, obtenu en impliquant deux fois
la notion de trajectoire, est, selon elle, l’instrument de médiation sémiotique
le plus complet pour expliquer le double rôle du temps incorporé dans la notion
de covariation. De même, avec la macro – boîte à outils – comme artefact, elle
définit trois schèmes respectifs en tant qu’action à mener sur la macro :
appliquer une macro inconnue ; appliquer une macro connue ; créer une
macro. Trois instruments, associés à ces trois schèmes, sont construits pour
permettre la compréhension globale de la fonction et des relations
fonctionnelles entre variables indépendante et dépendante.
Après, cette approche a été utilisée pour analyser les
processus de conceptualisation dans les environnements de calculatrices
symboliques (Trouche, 2005) ou de tableurs (Haspekian, 2005). Tran Kien Minh
(2012) convoque cette approche, avec le logiciel Casyopée, pour approcher la
notion de fonction au lycée via la modélisation fonctionnelle des dépendances
géométriques. Il montre un développement conjoint de connaissances
mathématiques sur les fonctions et des connaissances sur l’artefact :
l’utilisation régulière de ce logiciel permet aux élèves d’articuler ces deux
types de connaissances. Kreczanik (2008) l’utilise dans sa thèse en didactique
de l’informatique, en rapport avec la conception et l’appropriation de
dispositifs d’information pédagogiques hypertextuels. Béziat (2007), dans le
cadre de son analyse des recherches francophones sur les TICE, relève les points
d’ancrage qui émergent dans ces recherches. Parmi ces points eux, interviennent
les approches instrumentales, lesquelles s’intéressent à la compréhension des
effets des choix des supports de formation ou des types d’outils à utiliser.
Pour Brandt-Pomares et Boilevin (2009) cette approche
instrumentale est un outil adéquat pour l’analyse des situations
d’enseignement-apprentissage qui recourent aux TICE. Ils l’utilisent, en
physique et en technologie, pour analyser et éclairer des situations
d’enseignement-apprentissages de deux classes utilisant des ordinateurs
portables. Elle a aussi été utilisée, dans le cadre du projet de déploiement
d’un cartable numérique au lycée, pour étudier les phénomènes de genèse
instrumentale chez les enseignants et leurs élèves (Marquet et Dinet, 2003).
Fluckiger et Bruillard (2008) ont analysé des
obstacles à la mobilisation des compétences issues des pratiques dans les
activités scolaires chez les collégiens. Dans cette analyse, l’approche
instrumentale leur sert de référence pour repérer les principaux schèmes de
navigation des élèves. En biologie, Geynet et al. (2003) convoquent cette
approche pour construire un outil collaboratif de base de références sur Internet.
4. Discussion
L’approche instrumentale est un outil théorique
efficace et souvent convoqué pour étudier et comprendre les apports des
instruments dans les processus de l’enseignement et de l’apprentissage. La
pertinence de cette approche est motivée par le contexte technologique en
évolution dans lequel la place de l’instrument devient, scolairement,
socialement et en entreprise, de plus en plus importante.
Deux avantages de cette approche peuvent être
dégagés : une dépendance de l’instrument vis-à-vis de l’utilisateur et une
action sur l’artefact. La découverte d’un artefact n’est pas d’avance et
d’office donnée. Elle a lieu au cours de son appropriation en situation
d’usage, donc au cours d’une activité au sein de laquelle l’utilisateur de
l’artefact élabore son instrument en fonction de ses possibilités. La
découverte de certaines de ses fonctionnalités permet leurs mises à profit pour
découvrir d’autres fonctions qui sont susceptibles de permettre à l’usager
d’aller plus loin dans ses apprentissages. C’est l’action de l’usager qui ouvre
la porte aux nouveaux apprentissages : l’usager est appelé à l’action sur
l’artefact pour le découvrir davantage et se l’approprier.
Dans le contexte d’une prolifération des instruments
numériques en éducation, seule leur utilisation raisonnée peut permettre des
conceptualisations et de la compréhension et partant, ouvrir la porte au
renversement de la tendance à la domination de l’instrument sur son
utilisateur. Un article récent d’Éric Bruillard illustre très bien la situation
actuelle : les jeunes générations, très utilisatrices de ces technologies
informatiques ou numériques, malheureusement assez peu pour des fins
d’apprentissage, trouvent inutile de se casser la tête à apprendre à commander
les machines, ces dernières répondant directement à leurs besoins et exauçant
immédiatement leurs vœux, malgré leur manque de compréhension et faible
conceptualisation (Bruillard, 2012). Cette situation délicate, est amplifiée
par le discours essentiellement marketing qui met en avant le caractère
transparent des machines actuellement utilisées, leur simplicité d’usage et le
fait que ce soit « l’instrument qui guide l’utilisateur ». Quoi qu’il
en soit, l’utilisation raisonnée des technologies nécessite un minimum de
connaissances pour être effectivement profitable et créative.
Références bibliographiques
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- Baron, G. L. (2008). "A propos du repérage des chercheurs en TICE". Consulté à l’adresse http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article41
- Baron, G. L., & Bruillard, E. (1996). L’informatique et ses usagers dans l’éducation, Paris, 1996. PUF.
- Béguin, P., & Rabardel, P. (2000). "Concevoir pour les activités instrumentées". Revue d’intelligence artificielle, 14(1-2), 35–54.
- Béziat, J. (2008). "Langues, formation et technologies numériques. Regard sur la recherche francophone". Consulté à l’adresse http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article47
- Brandt-Pomares, P., & Boilevin, J. M. (2009). "Didactique des sciences physiques, didactique de la technologie, et usage des TICE". Journal of e-Learning and Knowledge Society-English Version, 4(2). Consulté à l’adresse http://services.economia.unitn.it/ojs/index.php/Je-LKS_EN/article/view/282
- Bruillard, É. (2012). "Lire, écrire, computer : émanciper les humains et contrôler les machines". Consulté à l’adresse http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1209d.htm
- Bruillard, E., (1997). "L’ordinateur à l’école : de l’outil à l’instrument", In Pochon, L.-O., Blanchet, A. (eds.), L’ordinateur à l’école : de l’introduction à l’intégration. IRDP, Neuchâtel, pp.99-118.
- Contamines, J., George, S., & Hotte, R. (2003). "Approche instrumentale des banques de ressources éducatives". Revue Sciences et Techniques Éducatives (STE) numéro spécial « Ressources numériques, XML et éducation », 10. Consulté à l’adresse http://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-00298189/
- Fluckiger, C., & Bruillard, E. (2008). "TIC : analyse de certains obstacles à la mobilisation des compétences issues des pratiques personnelles dans les activités scolaires". Présenté à Conférences aux 2èmes journées de l’Orme, CRDP de l’académie d’Aix-Marseille.
- Folcher, V. (1999). Des formes de l’activité aux formes des instruments : un exemple dans le champ du travail collectif assisté par ordinateur. Thèse de doctorat, Université Paris 8.
- Folcher, V., & Rabardel, P. (2004). "Hommes-Artefacts-Activités : Perspectives instrumentales" In P. Falzon (Eds). L’ergonomie, PUF, 251-268.
- Geynet, Y., Conruyt, N., et Gravier-Bonnet, N., (2003). Création collaborative d’une base terminologique via Internet : Application à la communauté de recherche sur les hydraires. Université de La Réunion.
- Haspekian, M. (2005). Intégration d’outils informatiques dans l’enseignement des mathématiques, étude du cas des tableurs. Université Paris-Diderot - Paris VII. Consulté à l’adresse http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00011388
- Kreczanik, T. (2008). Conception et appropriation des dispositifs d’information pédagogiques hypertextuels : une approche intentionnelle et fonctionnelle. Thèse de doctorat. Université Jean Moulin, Lyon 3.
- Mayen, P. et Savoyant, A. (2002). Formation et prescription : une réflexion de didactiques professionnelle, Nouvelles formes de travail, nouvelles formes d’analyse.
- Minh, T. K. (2012). Les fonctions dans un environnement numérique d’apprentissage : étude des apprentissages des élèves sur deux ans. Canadian Journal of Science, Mathematics and Technology Education, 12(3), 233‑258. doi:10.1080/14926156.2012.704127
- Rabardel, P. (1995). Les hommes et les technologies, une approche cognitives des instruments contemporains. Armand Colin, Paris.
- Rabardel, P., & Pastré, P. (2005). Modèles du sujet pour la conception. Dialectiques activités développement, Toulouse : octarès.
- Rézeau, J. (2002). Médiation, médiatisation et instruments d’enseignement : du triangle au « carré pédagogique ». M. Petit (éd.) ASp. la revue du GERAS, (35-36), 183‑200. doi:10.4000/asp.1656
- Sokhna, M. et Trouche, L. (2007). Accompagnement continu des professeurs de mathématiques en difficultés : quel dispositif et quelles ressources ?
- Trouche, L. (2005). Des artefacts aux instruments, une approche pour guider et intégrer les usages des outils de calcul dans l’enseignement des mathématiques. In Actes de l’université d’été de Saint-Flour. Le calcul sous toutes ses formes.
- Vergnaud, G. (1991). La théorie des champs conceptuels. Recherches en didactiques des mathématiques. 10(2), 133-170.
[1] Certains auteurs opposent médiation et
médiatisation des instruments. Rézeau (2002) propose de les réconcilier. Il les
considère dans « le même rapport bifacial que les processus d’instrumentalisation
et d’instrumentation dans la genèse instrumentale » telles que définies
par Rabardel (1995).
[2] Ces outils d’analyse concernent les modèles
SAI (Situations d’Activités Instrumentées) et SACI (Situations d’Activités
Collectives Instrumentés) développés par Rabardel (1995)
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