samedi 19 octobre 2013
Synthèse d'un atelier sur le tutorat
dans les MOOCs
Cet atelier a été tenu par
vidéoconférence entre les bureaux de la TÉLUQ à Québec et à Montréal, le 14
août 2013. Autour de Jacques Rodet, consultant-formateur en FOAD et initiateur
et animateur t@d le portail du tutorat à distance, l’atelier a réuni Sylvie
Pelletier, tutrice à la TÉLUQ, ainsi que France Henri, Caroline Brassard et
Pierre Gagné, tous trois professeurs à la TÉLUQ.
L’atelier a été l’occasion
d’échanger à partir des expériences des participants pour émettre des
préconisations en matière d’encadrement à l’intention des concepteurs de MOOCs.
L’expérience des participants des MOOCs était très variée : expériences directe
d’étudiant inscrit, visites et observations de MOOCs, échanges avec un proche
inscrit à un MOOC.
Cette synthèse n’est pas tant un
résumé des échanges qu’une tentative d’en organiser les éléments en intégrant
ce qui a été exprimé formellement, ce qui a été effleuré ou ce qu’il est
possible d’inférer des propos tenus. De plus, la discussion ayant été très
libre, la synthèse ne correspond pas non plus au déroulement des échanges.
Nous avons organisés nos propos de
la manière suivante : d’abord de cerner le phénomène des MOOCs, puis présenter
les caractéristiques observées dans l’expérience des participants, enfin,
regrouper ce qui a été dit concernant la manière de concevoir l’encadrement
dans un MOOC. Évidemment, cette synthèse a pour limite l’étendue relative de
l’expérience directe des MOOCS des participants présents.
1. Les MOOCS, un
phénomène très diversifié
Dès le départ, un premier tour de
table a permis de constater qu’il y a MOOC et MOOC. Ainsi, une participante
avait participé à un MOOC d’inspiration connectiviste alors que d’autres
avaient participé ou observé des xMOOCs dont certains n’étaient pas aussi «
massifs » que l’expression le prétend. Au-delà de ces différences facilement
observables, on découvre que les MOOCs procèdent d’intentions et d’objectifs
institutionnels, de modèles pédagogiques et de modèles d’affaires variés.
Les intentions des établissements
qui pratiquent l’enseignement par MOOC peuvent être d’acquérir plus de notoriété,
d’élargir à terme leur base de fréquentation, d’innover en pédagogie et de
remplir une partie de leur mission traditionnelle en donnant accès à un très
large public aux savoirs dont elles sont dépositaires et créatrices[1].
Les modèles pédagogiques qui
sous-tendent les MOOCs sont potentiellement aussi variés qu’ailleurs dans
l’enseignement. Les approches socioconstructivistes ou connectivistes donnent
lieu à des cMOOCs articulés autour des démarches très ouvertes, faisant une
large place à la collaboration entre apprenants et campent l’encadrement comme
un accompagnement qui vient en soutien aux initiatives diverses des individus
et des équipes. Les xMOOCs font appel à des démarches pédagogiques plus
traditionnelles qui font appel à la médiatisation des interventions
d’enseignement et à des démarches individualisées[2]. Rien n’empêche d’imaginer
des configurations différentes.
En ce qui a trait aux modèles
d’affaires, on peut constater jusqu’à maintenant leur absence dans les
initiatives des grandes institutions. Les MOOCs sont expérimentaux et les
établissements semblent moins préoccupés de leur trouver un modèle viable de
financement et d’en tirer des revenus que d’explorer leur potentiel de
fréquentation, de notoriété, d’innovation pédagogique pour leurs programmes
campus.
2. Caractéristiques
des MOOCs dans l’expérience des participants
Les MOOCs observés possèdent trois
caractéristiques communes : l’ampleur de leur fréquentation, leur traitement
pédagogique plutôt rudimentaire, et leur dépendance par rapport à l’autonomie
des étudiants.
Premièrement, considérant leur
prétention d’élargir, voire de massifier, l’accès aux savoirs spécialisés, les
MOOCs sont conçus pour servir de très grands nombres d’étudiants. Il y a là un
changement d’échelle pour les établissements campus ou à distance où la
fréquentation d’un cours n’atteint pas souvent le millier d’étudiants. Même
quand ces objectifs de fréquentation ne se réalisent pas, le MOOC n’en demeure
pas moins conçu et organisé en fonction de cette capacité d’accueil.
Deuxièmement, la pédagogie des MOOCs
est souvent rudimentaire quand on la compare à celle qui a cours dans les
établissements de formation à distance et dans plusieurs initiatives de
e-learning. Le traitement médiatique est à l’avenant : par exemple, des
séquences vidéo relativement statiques véhiculent le contenu (conférences de
professeurs), des textes à télécharger, des tests en ligne avec ou sans
autocorrection. Les technologies sociales y sont plus plus ou moins élaborées
et y jouent un rôle plus ou moins intense selon les approches pédagogiques
préconisées : alors qu’elles doivent soutenir des interactions fréquentes et
complexes dans les démarches connectivistes des cMOOCs, elles ont un usage plus
limité dans les démarches individualisées des xMOOCs. Les compétences des
intervenants en encadrement ne sont pas toujours à la hauteur des attentes des
apprenants. Cependant, même peu développé, le traitement pédagogique et médiatique
peut constituer une innovation très positive pour un enseignant sur campus. Par
contre, l’utilisation des MOOCs se pose différemment dans les établissements de
formation à distance, où leur conception implique une réduction (downgrading)
contrôlée d’un dispositif à l’origine plus élaboré.
Troisièmement, les MOOCs, peut-être
à cause de leur forte fréquentation et de leur faible élaboration pédagogique,
misent implicitement sur l’autonomie de l’étudiant. Les services d’encadrement
y sont peu élaborés, soit concentrés sur le lancement d’une démarche
essentiellement autodidacte (individuelle ou collaborative), soit centrés sur
les fonctions socio-affectives de l’apprentissage (soutenir la motivation,
créer un sentiment d’appartenance, etc.) et moins sur les fonctions cognitives
(répondre aux questions de contenu, élaborer sur les points mal compris, etc.)
qui exigent des interventions plus spécialisées.
3. Que peut-on
préconiser en matière d’encadrement pour les moocs
Les trois caractéristiques décrites
ont des conséquences sur la manière de concevoir l’encadrement dans les MOOCs.
À cause des fréquentations élevées
visées, on peut penser qu’il est impossible d’offrir le niveau d’encadrement
caractéristique des cours à distance et que l’encadrement dans un MOOC doit
être planifié et organisé en fonction d’un ratio tuteur étudiant beaucoup plus
élevé que celui qu’on rencontre habituellement en formation à distance. Même si
les modèles d’affaires n’ont pas été encore formalisés, on peut prévoir que les
établissements voudront profiter des économies d’échelle et garder sous
contrôle la partie des coûts qui grandit avec le nombre d’étudiants, dont les
coûts d’encadrement. Il serait donc approprié d’adopter une approche d’ingénierie
du tutorat.
Ainsi, en tenant compte des
potentiels et des contraintes issues du contexte institutionnel, pédagogique et
économique particulier à chaque MOOC, il serait souhaitable de procéder à une
analyse des besoins d’encadrement pour identifier les services et les tâches
d’encadrement à offrir. À cet égard, des dispositifs de recherche sur le
comportement des étudiants dans les MOOCs sont grandement souhaitables. En
attendant, on peut réfléchir à différentes approches.
Une première approche amènerait à
structurer les services d’encadrement selon le degré d’engagement de
l’apprenant dans sa formation et selon son évaluation de ses propres besoins.
Ainsi, on pourrait concevoir plusieurs niveaux de services que l’apprenant
pourrait choisir au départ de la formation. Par exemple, un niveau de base
assurant le dépannage technique et administratif, pour assurer l’accès à la
formation, qui s’appliquerait à tous les apprenants. Puis, un niveau de soutien
cognitif, composé d’interventions facilitant l’appropriation des contenus.
Ensuite, un niveau de soutien socio-affectif visant le maintien de la
motivation, ou dans les cas d’apprentissage en équipe, la régulation des
échanges, l’appartenance au groupe, etc. Puis, un niveau de soutien cognitif
augmenté, où l’apprenant pourrait obtenir une rétroaction sur les productions.
Enfin, un niveau de soutien métacognitif, pour objectiver son expérience
d’apprentissage et améliorer sa maîtrise du métier d’apprenant.
À chaque niveau, on doit se
concentrer sur les services nécessaires, ceux dont l’absence fait courir le
plus grand risque d’abandon et d’échec de la formation. Le leitmotiv dans ce
cas pourrait être : pas d’abandon de la formation par défaut de dispense de
services d’accompagnement.
À chaque niveau, les interventions
nécessaires à la prestation des services, incluant l’évaluation des
apprentissages, ont avantage à être déléguées. Ainsi chaque fois que cela est
possible, on peut concevoir des documents, des outils, des interventions
préenregistrées, confier certaines tâches aux pairs. Cela permettrait de
réserver les interventions des tuteurs aux tâches d’encadrement les plus
spécialisées. L’autonomie de l’étudiant doit également être considérée comme un
actif sollicité et valorisé, ce qui implique que les attentes soient
correctement ajustées dès le départ.
À tous les niveaux, on doit se
rappeler qu’une offre d’encadrement constitue déjà un encadrement : la
disponibilité du service offert contribue à entretenir chez l’apprenant le
sentiment qu’il n’est pas tout seul dans cette aventure. Ce sentiment a des
effets positifs sur l’apprentissage, même si le service réel n’est jamais
sollicité. Par contre, la qualité du service, lorsque qu’il est requis, doit
être à la hauteur des attentes.
En matière de financement, on peut
penser à des niveaux de facturation associés aux niveaux de service sollicités.
On peut également penser à des frais minimaux universels qui permettraient, en
raison des économies d’échelle, de financer l’ensemble des services offerts.
Dans la perspective d’élargir
l’accès au savoir, une autre approche serait de modulariser l’offre de
formation en unités plus petites. Par exemple, un cours donné pourrait être
fragmenté en trois unités. Une première propose un survol du contenu, avec des activités
assez simples et des services minimaux d’encadrement : elle viserait la
compréhension générale du phénomène et la capacité d’en parler dans des
contextes peu spécialisés. Elle s’adresse donc à un grand public. Une deuxième
et une troisième proposent un approfondissement des contenus et des compétences
plus élaborées qui s’exprimeraient dans des activités plus complexes et
exigeraient des interventions d’encadrement plus élaborées à l’intention de
personnes qui ont des besoins plus poussés.
4. Aspects financiers
relatifs à l’encadrement des apprenants des moocs
À l'égard des préconisations
exprimées sur l'encadrement dans les MOOCs, le plus difficile serait sans doute
de trouver du financement, tant pour la conception que pour l'offre de services
d'encadrement. Il est admis que les MOOCs sont des formations gratuites et non
diplômantes. Or, l'État accorde son financement aux universités sur la base du
nombre d'étudiants inscrits à des formations diplômantes. Quelles universités
peuvent s'offrir des MOOCs à leurs frais ?
Les grandes universités à charte
peuvent sans doute sacrifier des revenus en échange d'une plus grande
visibilité pour leurs programmes menant à des formations diplômantes.
Voudraient-elles investir davantage pour offrir un meilleur encadrement aux
étudiants qui fréquentent leurs MOOCs ? Autrement, est-il pensable que les
étudiants inscrits à leurs MOOCs acceptent d'assumer une partie des coûts
d'encadrement afin qu'on puisse les aider à réussir des cours qui ne mènent pas
au diplôme ?
Nous avons évoqué l'idée d'ouvrir un
passage du MOOC vers la formation diplômante pour l'apprenant qui souhaite se
voir reconnaître des crédits universitaires. Le cas échéant, l'université
pourrait toucher la subvention gouvernementale et les frais d'inscription de
l'étudiant qui migre du MOOC vers le cours crédité. Cette éventuelle source de
revenus pourrait inciter l'université à investir dans les MOOCs. Encore
faudrait-il qu'elle cible des contenus de cours dont la popularité est démontrée
afin de pouvoir amortir les coûts de développement de ses MOOCs dans un délai
raisonnable.
Quant à l'idée d'offrir des MOOCs
comportant des frais d'inscription, si minimes soient-ils, il est à craindre la
résistance farouche de l'internaute qui croit fermement au principe selon
lequel tout ce qui se trouve sur Internet se doit d'être gratuit (même en
sachant que si c'est gratuit, c'est lui le produit!).
En dépit de ces désagréables
considérations financières, le MOOC apparaît être une vitrine formidable pour
promouvoir l'offre de cours d'une université. Le défi est d'autant plus facile
à relever pour l'université qui dispose d'une solide expertise en FAD. Cela
apparaît d'ailleurs un avantage concurrentiel dans le marché des MOOCs, car les
autres acteurs sont bien souvent de grandes universités campus qui jouissent
d'une solide notoriété, mais qui ne maîtrisent pas encore l'art d'enseigner à
distance.
Si l'expérience des MOOCs s'avère
profitable pour l'université, il est permis de croire qu'elle veuille bien
débourser davantage pour offrir des services d'encadrement convenables aux
milliers d'apprenants qu'elle a réussi à séduire.
Conclusion
Comme entreprise d’accessibilité du
plus grand nombre aux savoirs spécialisés, les MOOCs méritent notre intérêt,
mais à condition qu’ils se préoccupent non seulement du nombre d’entrants, mais
également du nombre de sortants, i.e. des résultats d’apprentissage qu’ils
prétendent atteindre. Dans ce contexte, le développement des MOOCs constituent
une occasion de faire évoluer de manière importante les modèles de tutorat tels
qu’ils ont été développés pour les dispositifs de formation à distance.
Les échanges pourront se poursuivre
lors de la table ronde "Le tutorat dans les moocs"
organisée dans le cadre des 10 ans de t@d
organisée dans le cadre des 10 ans de t@d
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[1] Plusieurs de ces intentions
peuvent cohabiter dans un même établissement et entretenir entre elles des
rapports instrument-finalité différents.
[2] Rien n’empêche d’imaginer des MOOCs faisant
appel à n’importe quelle variante pédagogique dans un contexte de distance.
Cependant, en matière de fréquence, on devrait retrouver la même distribution
des cours à travers les approches pédagogiques qu’on trouve dans l’enseignement universitaire.
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