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jeudi 17 octobre 2013

Article 14

 Des outils faussement « neutres

S’il est une idée sur laquelle tous les sociologues  s’accordent, c’est que l’analyse des réseaux sociaux ne  se réduit pas à une simple méthode, mais est porteuse  d’un véritable « paradigme », ou plus exactement  de plusieurs paradigmes, au sens où le philosophe et  historien des sciences Thomas Kuhn entendait cette  notion. 

Dans son ouvrage canonique, ce dernier  montrait ainsi que même les sciences dites « exactes » étaient influencées par les rapports de force collectifs entre leurs praticiens [6]. De science « dure », la  sociologie des réseaux revêt justement de nombreux  atours, de par le foisonnement des concepts et outils 

– largement mathématisés – qui ont accompagné  son essor depuis sa « fondation » par John Barnes en  1954 [7, p. 12].

Triades et dyades, cliques, graphes,  sommets, arêtes, connexité, densité, centralité,  matrices, blockmodelling, indices de Zagreb et de  Randic, algorithme de Ward, etc. : c’est un véritable lexique qu’il faut connaître pour « parler » la sociologie des réseaux, sans compter les nombreux logiciels dont il faut apprendre la maîtrise et autres calculs  permettant d’analyser les graphes reconstitués. 

Autant  d’éléments qui constituent des barrières à l’entrée,  propres à toute profession [8], et qui sont également  comme autant de gages de scientificité.

Cela ne veut  pas dire, bien évidemment, que cette formalisation,  également familière d’une certaine économie académique, ne serait pas pertinente, mais elle risque de  faire perdre de vue ses implications théoriques. 

Car  comme dans tout sous-champ disciplinaire, les sociologues des réseaux partagent également le « culte » de  certaines théories canoniques, telles que la théorie de  la « forme » des relations et les analyses concernant les  triades de Simmel – que d’aucuns considèrent comme  le principal précurseur de l’analyse des réseaux [9] –,  celle de la « force des liens faibles », mise en évidence  par Mark Granovetter [10], ou encore celle des gains  spécifiques attachés à la position dans un « trou structural » développée par Ronald Burt [11]. 

Mais on  peut évoquer également la théorie de l’« équivalence  structurale » développée par Harrison White et les  chercheurs inscrits dans sa lignée, qui constituent  le « groupe de Harvard », qui place en son cœur le  fait que différents individus présentent des relations  plus ou moins similaires avec d’autres [7, p. 66-67].
Or, cette approche microsociologique s’appuie entre  autres sur un modèle de l’acteur rationnel qui, sans être partagé par tous les analystes des réseaux, accompagnerait le développement d’une vision de la société « ouverte », « fluide », ayant évacué les vieilles notions  de « catégories » ou de « classes » dont les individus (se) seraient désormais libérés.

Une telle critique est  notamment portée par Luc Boltanski et Eve Chiapello qui, à partir de leur analyse des manuels de management, repèrent justement la place centrale de la notion de
« réseaux » dans la « cité par projets » qui caractérise la  nouvelle logique d’organisation économique et sociale  capitaliste [12

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