S5 La place de l'apprentissage social
La place de l'enseignant dans l'environnement d'apprentissage personnel
Depuis une petite dizaine d'années, les promoteurs et
praticiens de la formation à distance aiment à dire que la théorie de
l'apprentissage dont ils se réclament est la théorie
socio-constructiviste élaborée par Vygotski au début du XXe siècle.
Lev Vytgoski et le socio-constructivisme
Durant sa brève existence (38 ans), Lev Vygotski a beaucoup observé,
beaucoup enseigné, beaucoup écrit aussi : 180 titres, dont 80 non
publiés, d'après l'article qui lui est consacré dans Wikipedia.
L'influence essentielle de Vygotski sur les théories de l'apprentissage et du développement réside dans la notion de "zone proximale de développement", notion qui est elle-même liée à la théorie plus globale du socio-constructivisme, "approche
selon laquelle la connaissance interpersonnelle peut seulement être
réalisée par sa construction sociale. Particulièrement appropriées à cet
égard, on trouve les processus de communication se produisant dans les
situaitons où il y a au moins deux personnes essayant de résoudre un
problème" (EduTech Wiki, page Socio-constructivisme).
La zone proximale de développement désigne l'espace symbolique qui
relie les tâches qu'un individu peut accomplir en autonomie, à celles
qu'il pourra accomplir avec l'aide d'un tiers, puis accomplir seul une
fois l'apprentissage achevé. Plus ce tiers est compétent (dans ses
savoir-faire liés à la tâche, mais aussi socialement parlant), plus la
zone proximale de développement d'un individu est grande. Ce rôle de
tiers sachant est généralement dévolu à l'enseignant ou à un pair de
l'apprenant. Il s'agit plus d'une fonction que d'une personne clairement
identifiée, la fonction étant assumée par différentes personnes selon
les objets et moments d'apprentissage considérés.
Autonomie et interaction : les piliers de la FAD haut de gamme
En quoi la formation à distance (du moins, d'une partie d'entre elle)
est-elle socio-constructiviste ? Grâce à l'autonomie que construit
progressivement l'apprenant, dans une situation où il n'est pas
constamment soumis à la règle du groupe en apprentissage édictée par
l'enseignant. Cette autonomie n'est pas synonyme de solitude; du moins
les concepteurs de formation en ligne s'efforcent-ils de dissocier ces
deux notions, notamment en exploitant les outils de communication en
ligne et en encourageant l'émergence des communautés d'apprentissage et
de pratique. Une formation à distance de qualité est donc celle qui
offre tout à la fois de l'autonomie à l'apprenant et un environnement
social riche. Si l'environnement d'apprentissage ainsi construit tient
ses promesses, il devient alors une "zone proximale de développement"
pour chacun des apprenants, telle que la concevait Vygotski.
L'apprenant en liberté surveillée
Cette vision est aujourd'hui fortement critiquée par les tenants de
l'environnement d'apprentissage personnel, qui fustigent les plateformes
de formation à distance et les concpetions de l'apprentissage qui vont
avec, sans qu'aucune ne mérite d'être distinguée. Leur principal défaut
serait d'être des environnements fermés, dont toute l'organisation
reviendrait à l'enseignant (ici synonyme d'institution). Ces
environnements ne seraient que les derniers avatars de l'enseignement
industriel en cours depuis la fin du XIXe siècle, comme le souligne Graham Attwell avec cette citation :
"Le centre de gravité des modèles industriels de gestion de cours
réside dans les professeurs qui génèrent les contenus, les professeurs
qui rassemblent les ressources, les professeurs qui organisent et
séquencent les informations, les professeurs qui transmettent les
informations aux étudiants".
Nous comprenons donc que dans le cadre de ces dispositifs
d'e-learning, même si les apprenants disposent d'une large marge de
liberté au niveau du processus d'apprentissage lui-même, ce qu'il doit
apprendre, quand et sous quelle forme, reste maîtrisé par l'enseignant.
Il ne s'agit donc pas de dispositifs socio-constructivistes à proprement
parler.
L'EAP, ou la route de la liberté socio-constructviste
Mais Vygotski fait un retour remarqué sur la scène pédagogique avec
les environnements d'apprentissage personnels. Ces derniers en effet
disposent de deux qualités qui autorisent à les labelliser
"socio-constructivistes premier choix" :
- L'apprenant est maître du choix de ses objets et modalités
d'apprentissage. Il décide aussi des outils à utiliser pour mobiliser et
étendre son réseau social, identifier des ressources, les traiter, les
réutiliser, etc.
- L'apprenant apprend avec ceux qui partagent avec lui un objet
d'apprentissage ou au moins un intérêt. Les interactions nourrissent la
grande entreprise globale d'apprentissage, les éléments décisifs
provenant d'une multiplicité de sources considérées comme autant de
"tiers sachants", rôle qui n'est plus exclusivement dévolu à des
personnes.
Certains théoriciens poussent le raisonnement jusqu'à une issue
prévisible : la disparition de l'enseignant, puisque toute la
connaissance du monde est potentiellement accessible, à un moment ou à
un autre, par le biais des ressources, personnes et objets sachants / de
savoir qui circulent sur la toile, cette dernière étant alors
considérée comme une gigantesque zone proximale de développement.
Ismael Peña-López, enseignant à l'Université ouverte de Catalogne qui ne dispense que de la formation en ligne, réfute ce raisonnement.
Il voit dans la part croissante de l'environnement numérique
d'apprentissage un affaiblissement de la position de l'enseignant
dispensateur du savoir, mais un renforcement de son rôle en tant que
facilitateur des parcours, capable d'organiser et de rendre intelligible
le processus d'apprentissage.
Les tâches imparties à l'enseignant dans cette perspective sont désormais bien connues et rappelées par G. Attwell
sur lequel s'appuie I. Peña-López : éveiller l'attention de
l'apprenant, soutenir son engagement et sa concentration, découper les
tâches en sous-tâches plus faciles à apréhender, aider à la
conceptualisation et à la systématisation des apprentissages une fois la
tâche réalisée... Autant de tâches familières à nombre d'enseignants,
mais qui passent au premier plan lorsque l'apprentissage s'effectue en
milieu hybride ouvert, tirant profit de toutes les sources de
connaissances possibles.
Toute formation est désormais hybride
Selon ces auteurs, l'apprentissage en milieu ouvert, qui passe par la
création de leur EAP par les apprenants, n'est pas incompatible avec
l'enseignement académique. Il est même fortement compatible avec la
formation académique à distance ou hybride. En poussant un peu plus loin
le raisonnement, on peut d'ailleurs dire que tout enseignement est
devenu hybride, tant il est vrai que les murs de la classe et les
limites de l'espace de e-learning ne signalent plus (et l'ont-ils jamais
fait ?) la frontière indépassable de l'espace d'apprentissage.
Ils
marquent dans le meilleur des cas pour les apprenants un point de repère
et de rendez-vous avec les enseignants - facilitateurs et leurs pairs
les plus proches, un endroit un peu à part dans leur EAP qui signale
peut-être, mais pas systématiquement, une zone proximale de
développement.
Sources :
Lev Vytgovski sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Lev_Vygotski
Le socio-constructivisme sur Edutech Wiki, université de Genève : http://edutechwiki.unige.ch/fr/Socio-constructivisme
Graham Attwell : Personal Learning Environments and Vygotsky. Pontydysgu - Bridge to learning, 22 avril 2010.
Peña-López, I. (2012) “Personal Learning Environments and the revolution of Vygotsky’s Zone of Proximal Development” In ICTlogy, #107, August 2012. Barcelona: ICTlogy, http://ictlogy.net/review/?p=3981
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